Dépression: quand la vie se retire dans l’ombre (et quoi faire)
La tristesse fait partie de la vie. Après une perte, une déception, l'épuisement — elle arrive, passe, laisse une trace. La dépression est différente : elle ne disparaît pas, même lorsqu' "il n'y a rien de grave" en apparence. Elle enlève le goût, les couleurs, le sommeil, les relations. Si vous avez l'impression que la journée est lourde dès le matin et que rien n'apporte de soulagement, vous n'êtes pas seul·e. Ce texte propose des repères clairs, des pas concrets et un cadre psychanalytique sur la manière dont je travaille la dépression en thérapie.
Tristesse vs dépression : différences claires
La tristesse a une cause que vous pouvez nommer (séparation, perte, échec). Les émotions vont et viennent par vagues, le lien aux autres reste vivant et, même si cela fait mal, un sens demeure : « j'ai perdu quelque chose d'important ».
La dépression ressemble plutôt à un retrait de la vie : anhédonie durable (rien ne fait plaisir), fatigue, troubles du sommeil (réveils précoces ou hypersomnie), culpabilité/sentiment d'inutilité, lourdeur corporelle. La cause n'est souvent pas claire. Les pensées tournent en rond (« moteur grippé »), l'évitement s'installe, le retrait social aussi.
En bref : la tristesse est une réponse à quelque chose, la dépression est un état qui engloutit tout.
Dépression et mélancolie (psychanalytiquement)
Freud, dans l'essai Deuil et mélancolie, suggère que dans la mélancolie la "perte" s'introjecte — naît alors une auto-critique cruelle ("je ne suis rien", "je ne le mérite pas"). Le Surmoi parle sans relâche, le corps faiblit.
En pratique, j'utilise un simple compas :
plutôt dépression : fatigue, anhédonie, troubles du sommeil, basse énergie, moins d'auto-accusation, davantage de « rien n'a de sens ».
plutôt dynamique mélancolique : culpabilité sans fond, fouet moral, idées d'auto-destruction, aggravations matinales marquées.
Ce discernement aide à régler le tempo du travail et à décider s'il faut associer un·e psychiatre.
Comment la dépression parle dans le corps et dans les mots
Corps : lourdeur, ralentissement, tensions thoraciques/épaules, douleurs sans cause nette, sommeil fragmenté, baisse d'appétit (ou alimentation émotionnelle).
Parole : "ça n'a pas de sens", "je suis vide", "je ne termine rien", "je ne veux déranger personne". Souvent moins d'affect dans la voix, pauses, impression d'être "derrière une vitre".
Quand demander de l'aide (signaux)
l'état dure > 2–4 semaines sans amélioration,
anhédonie : rien ne fait plaisir, même ce qui en faisait auparavant,
lourdeur matinale, troubles du sommeil, fatigue,
culpabilité/sentiment d'inutilité, retrait social,
pensées de mort (y compris implicites : "ce serait mieux si…").
⚠️ Si des idées d'auto-agression ou suicidaires sont présentes, contactez une ligne d'urgence ou les services d'urgences. N'attendez pas, demandez de l'aide.
Comment je travaille la dépression en psychanalyse
En psychanalyse, on n'éteint pas la dépression avec des "astuces rapides" ; on explore ce qui s'est retiré et pourquoi.
Ce que cela signifie en pratique :
Associations libres : vous parlez sans autocensure ; nous cherchons les coutures (mots/endroits où la parole se coince).
Carte de la perte : où la perte est apparue (personnes, idéal, place dans le regard de l'Autre) et comment le mouvement du désir a changé.
Surmoi et culpabilité : remonter aux sources du "fouet intérieur" et trouver une autre adresse pour la faute (du sens, pas de l'auto-destruction).
Corps et rythme : si l'énergie est basse, d'abord le cadre (horaire, fin, tempo), parfois des coupures brèves (scansion) — clôtures précises pour permettre un déplacement.
Nomination : des mots justes qui lieront la dépression à la parole — au lieu d'un silence impuissant.
Le but n'est pas d' "être toujours heureux", mais de réintroduire du mouvement : un peu d'envie, une décision, un mot qui ouvre la place au pas suivant.
Médicaments : quand et pourquoi
Dans les dépressions modérées à sévères, les antidépresseurs peuvent créer une "fenêtre" pour commencer à travailler. La décision est individuelle ; la collaboration avec un·e psychiatre n'est pas un échec, c'est un soin du corps. Thérapie et médicaments ne s'excluent pas — ils se complètent souvent.
Ce que vous pouvez essayer dès aujourd'hui (sans grandes promesses, mais concrètement)
Rythme : doux mais régulier (heure de lever/coucher, repas, courte marche).
Micro-tâches : 1 petite chose par jour que vous terminez (« étendre le linge », « lire 10 min »). Le succès n'est pas un sentiment, c'est d'achever.
Souffle & corps : 5 min d'expiration plus longue ; douche chaude/petit mouvement — non pour la performance, mais pour remettre en mouvement.
Contact : 1 personne, 1 court message/appel — la dépression faiblit quand elle a un destinataire.
Limiter l'alcool : soulagement bref, aggravation à long terme.
Mini vignette (illustrative)
Rien ne me fait plaisir et le matin je suis de plomb.
En thérapie, il est apparu qu'après une « promotion » qui n'est pas venue, c'est l'estime de soi qui s'est effondrée — non la perte du travail, mais la perte de la place dans le regard de l'Autre. Quand nous avons trouvé des mots pour cette perte, le fouet intérieur ("je devrais déjà…") s'est assoupli, et le/la patient·e a commencé à remettre de petits pas dans sa journée — d'abord le sommeil, puis le travail en séquences plus courtes, plus tard les relations.
Conclusion et prochaines étapes
La dépression n'est pas une « faiblesse de volonté ». C'est une manière dont psyché et corps répondent à la perte, à la surcharge ou à un conflit silencieux. Un entretien où l'on retrouve du sens et du rythme peut être un début de changement.Je suis psychanalyste. Je propose des consultation en cabinet ou en ligne.
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